Mon printemps se trouve là-haut, quelque part dans les montagnes...
Chaque année c'est comme un besoin de le retrouver, ne serait-ce que pour une matinée.

Tant que je ne l'ai pas entendu chanter, qu'importe la végétation et la durée des jours, il me manquera toujours ce petit quelque chose pour que je sente que le printemps est là...

Cela fait déjà une dizaine d'années que je vais à ce rendez-vous, et jamais je ne lui ai posé de lapin (ni même de lièvre variable !)

Mais mon petit printemps, comme je l'appelle, je dois aller le chercher... Celui-là, il ne vient pas naturellement.
Il est même discret et farouche !

Histoire d'une passion partagée


Voilà déjà des semaines que j'attends ce moment.
J'ai hâte... Hâte de me retrouver là-haut, et parcourir les versants à travers la nuit.
Hâte de m'arrêter, dissimulé dans un creux de neige, pour admirer l'aube qui se lève.
Et puis tendre l'oreille, et écouter...

Écouter la vie qui s'empare des sommets, après les longs mois d'hiver.

Cette aventure, j'allais la partager avec un jeune passionné, qui rêvait de découvrir la montagne à cette saison.

Nous espérions avoir peut-être la chance de l'entendre, ou de l'apercevoir, l'oiseau rare qui chante le printemps...


À notre arrivée, les bouquetins étaient toujours là, au pied des grandes falaises où ils sont descendus cet hiver. Ils n'ont pas encore commencé leur ascension pour l'été.

Je ne compte plus les photos que j'ai de ces animaux... Pourtant chaque rencontre est différente, et les atmosphères qu'offre la nature sont inépuisables.

Alors, pour essayer de retranscrire ces instants, j'essaye de m'improviser peintre avec mon objectif, quand la lumière devient faible. Les animaux semblent ainsi se transformer en trainées d'huiles qui se déposent sur le capteur de l'appareil photo.



Photos floues diront certains... Œuvres d'art diront d'autres...
C'est juste une porte ouverte à votre imaginaire et à l'ambiance qui se dégage...



Mon regard se perd vers les sommets. D'un rapide coup d’œil j'essaye d'estimer l'évolution du manteau neigeux.
Nous devons monter là-haut dès que possible. Il faut aller en repérage, pour connaître les conditions que nous allons rencontrer quand nous nous installerons de nuit en affût.

C'est ainsi que nous partons dans la journée même, vers la grande forêt de mélèze où la neige s'est retirée depuis peu.

Quelques chamois se cachent, par ici ou par là, prêts à bondir dans les barres rocheuses qui se jettent en contre-bas.


Leur pelage hivernal commence à s'éclaircir, mais il n'est pas encore tombé.


Nous nous enfonçons lentement au cœur du sous-bois.
Un chevreuil nous surprend, il est encore en bois de velours, alors qu'en plaine, la plupart des brocards les ont déjà perdus.
La montagne impose son rythme, où l'hiver n'est jamais très loin...



À mesure que nous progressons dans la forêt, nous devenons plus discrets et plus attentifs sur ce qui nous entoure.
Et c'est à notre tour de surprendre les petits habitants du mélézin dans leur intimité...



Une vordache se cache juste là, au milieu des barbus.
(...) Pardon, vous n'allez pas comprendre grand chose !

La vordache, c'est le nom patois de l'écureuil qu'on entend encore par ici. Et pour ce qui est des barbus, il s'agit du lichen qui recouvre les branches de mélèzes.

On raconte que quand les tétras viennent se percher dans la barbe des vieux arbres, on ne les voit plus, même s'ils sont à quelques mètres de nous et que le mélèze a perdu ses aiguilles.



Tout un petit monde s'active.
Les passereaux, tels que mésanges huppées et grimpereaux, picorent et virevoltent entre les arbres.

Mais au fur et à mesure que nous montons, la neige devient de plus en plus épaisse. Il en reste encore beaucoup pour la saison.



Au-dessus de la forêt, les marmottes ont même dû creuser des mètres de neige pour sortir à l'air libre après leur hibernation.


Et c'est ici, au bout d'une heure et demie d'ascension, que nous reviendrons cette nuit.
Nous avons monté deux petites pelles, et nous essayons de construire un igloo où nous pourrons tenir à deux pour être bien cachés.
La règle d'or c'est d'être invisible. Il faut tout faire pour ne causer aucun dérangement aux tétras-lyres qui sont en pleine période des amours.

Ce sont des oiseaux très sensibles.

Ce sont eux, que nous espérons apercevoir.

J'espère juste qu'avec la quantité de neige qu'il reste cette année, ils ne sont pas descendus un peu plus bas pour parader.


Tout devrait être prêt. Nous redescendons vers la vallée. Ce soir il faudra se coucher tôt !


Dans la forêt, les animaux ne deviennent plus que des sons qui se perdent dans l'obscurité.
Quelques silhouettes apparaissent encore furtivement, avant que la nuit engloutisse les sommets.





DRING DRING !!!

2h30 du matin. Il faut se lever !
Mais finalement, ce n'est pas trop dur tellement nous sommes motivés.
J'aurai peut-être du en raconter un peu moins sur les belles rencontres avec la faune sauvage que j'ai pu faire à cette saison... Car si on ne voit rien, mon ami risque d'être déçu !

Il faut manger un petit quelque chose. La marche va être soutenue, et l'attente va sûrement être fraîche dans l'affût.

Mais dès notre départ, nous avons déjà la chance d'apercevoir divers compères à quatre pattes qui courent à travers la nuit.
Alors le moral est bon, et c'est essentiel quand on prévoit d'attendre des heures dans le froid.

Le ciel s'est dégagé, les étoiles scintillent au-dessus des sommets blancs qui reflètent la lumière de la lune.
C'est avec plaisir que je fais découvrir la montagne de nuit, où toute la dimension sauvage s'accentue d'avantage.
À travers la forêt , seul le bruit de nos raquettes résonne. Mais dès que nous nous arrêtons, un silence pur et troublant s'installe.

Mais une discrète chouette de Tengmalm vient animer la forêt. Et une autre lui répond, créant quelques notes douces pour nous accompagner dans notre ascenssion.

J'essaye d'activer le pas, car nous n'avons le droit à aucun retard. Les coqs arrivent sur leur place de chant quand il fait encore nuit.
Nous marchons avec le sac rempli de matériel photo, et nous devons essayé de ne pas trop transpirer, car la sueur peut geler quand le jour se lève et que le froid devient plus intense.

Je surveille les étoiles, car ici, elles sont plus indispensables qu'une montre.
Elles brillent encore dans tout le ciel, nous sommes dans les temps. Si elles commençaient à s'effacer depuis l'Est, même quand il fait encore bien nuit, il ne resterait plus qu'une demie-heure avant que les tétras arrivent.

Nous rejoignons notre igloo et nous nous installons rapidement. Certaines étoiles brillent déjà un peu moins fort.
L'attente commence...


Un premier chant se fait entendre. C'est celui du merle à plastron, l'oiseau qui réveille la montagne alors que les chouettes ne dorment pas encore.
Les tétras peuvent arriver d'ici une quinzaine de minutes.

Et 15 minutes plus tard... Un premier roucoulement commence au loin. Et puis, un autre lui répond.
Ils sont là, peut-être à une cinquantaine de mètres, mais on ne distingue rien.
En tout cas, c'est déjà magique de pouvoir vivre cet instant, et ressentir toute la vie qui regagne la montagne.

Tout à coup, un coq arrive à moins de 10 mètres. Puis un deuxième, juste devant l'affût !
Il s'avance. Il vient chanter devant le petit micro que nous avons camouflés dans la neige juste au pied de l'igloo !

(Cliquez ici pour écouter le chant de parade que nous avons enregistré)
(Clic droit : ouvrir le lien dans un nouvel onglet, pour avoir le son en même temps que vous poursuivez la lecture de ce petit article)

À travers une petite fenêtre de l'igloo, j'aperçois la silhouette du tétras-lyre qui se détache en ombre chinoise, juste devant les lumières du petit village de montagne situé sur le versant d'en face.
C'est magnifique et original, mais je ne peux risquer aucune photo. Les coqs sont arrivés depuis peu, il faut leur laisser le temps pour qu'ils se mettent en confiance.

Mon ami a bien suivit la règle, et simplement, il en prend plein les yeux.
Et puis, les toutes premières lueurs du jour arrivent...


Le coq qui était juste devant l'affût, part en courant vers la place de chant du voisin. Ils sortent de ma vue, mais ils devraient être juste devant l'objectif de mon ami.
J'entends les coqs qui se défient. Ils vont se battre, c'est certain !
Je n'ose bouger pour regarder un peu plus loin par l'ouverture. Alors, c'est avec plaisir que je m'imagine la scène dans ma tête, profitant des sons de claquements d'ailes et de prises de bec qui résonnent, car je connais par cœur le comportement de ces oiseaux à force de les observer inlassablement année après année.

Et je suis vraiment heureux que ce soit mon ami qui se trouve aux premières loges pour profiter de ce magnifique spectacle !
On a bien fait de se lever !

Le coq finit par revenir sur sa place. Place qu'il défend au mètre près, et qui n'a pas changé depuis des générations.



De les voir sauter sur place au milieu du givre, ça me rappelle les histoires qu'on raconte sur la montagne.
Les anciens disaient, que quand le tétras chuintait, c'est qu'il soufflait sur ses pattes pour se réchauffer, à force de danser sur la neige gelée...

Histoire amusante du petit coq de bruyère, l'oiseau qui a toujours fasciné les montagnards :
ceux qui ont eu un jour la chance de le croiser, ou ceux qui ont essayer de le voir...

Il faut dire qu'il a tous les atouts pour séduire, avec sa queue en forme de lyre, sa tête ornée de caroncules rouges, et son plumage noir aux reflets bleu d'encre, parsemé de tâches blanches.


L'ambiance est sublime.
C'est comme si une vague de givre envoutait le décor, et dévoilait délicatement la scène de spectacle, où l'artiste vient exhiber ses plus belles parures...



Voilà déjà 3h que nous les observons.
Nous faisons des photos avec parcimonie. Il ne faut surtout pas déclencher quand ils arrêtent de chanter, pour qu'ils n'aient pas la moindre inquiétude.

Et puis le jour se lève d'avantage. Les chants deviennent de plus en plus timides.
Certains coqs se posent dans les mélèzes pour manger quelques bourgeons avant de disparaître plus bas, dans la forêt, pour le reste de la journée...

Nous pouvons sortir de notre igloo, ils devraient être partis.

Et c'est peut-être là aussi l'un des plus beaux instants, quand on sent enfin la douceur du soleil sur notre visage et les vapeurs du café qui nous dégèlent le nez.
Nous regardons les crêtes qui nous entourent, mais nous ne voyons pas les montagnes... Car nos yeux sont encore remplis des instants que nous venons de vivre.

Demain, nous reviendrons !



DRING DRING C'est repartit pour 2h30 !
Mais cette nuit la lune et les étoiles ont disparues.
Il tombe même quelques gouttes dans la forêt, et un léger vent frais qui se mélange à l’humidité a vite fait de nous rafraichir.

Mais dès que nous faisons un peu de dénivelé, les gouttes d'eau deviennent solides.
Au départ, elles sont comme des petits cristaux. Puis elles deviennent de plus en plus grosses, et de moins en moins glacés. Au fur et à mesure que nous avançons, elles se transforment en de beaux flocons de neige.
C'est une neige très légère, froide et sèche. C'est assez rare d'en avoir à cette saison.
On aurait du monter en ski de rando, la descente aurait été un régal !

Mais quand nous retrouvons notre igloo, il a en partie fondu à cause du soleil de la veille.
Il faut faire au plus vite pour creuser tout ce que nous pouvons et nous aménager un affût improvisé, avec la neige et le filet de camouflage.

J'espère que les tétras ne vont pas s'inquiéter d'une gros masse verte, alors que tous les arbres et tous les brins d'herbe qui dépassent autour sont blancs !



Mais quand nous commençons à attendre, je vois que la neige se dépose sur le pare-soleil de mon objectif. Rapidement il y a 1 cm, puis 2,...
Et au final, en moins de 15 minutes, nous nous retrouvons sous 15 à 20 centimètres de neige fraiche.
L'idéal pour être mieux cachés !

Et comme d'infatigables chanteurs, les tétras font leur apparition dans une arène saupoudrée de flocons.





Le petit coq étale toute sa splendeur à travers la brume et la neige.

Et puis, au fil des heures, le soleil apparait au dessus des hauts sommets, et vient illuminer un décor féerique où nuages, neige, flocons et traits de lumières se mélangent, jusqu'à nous couper le souffle.

Avec les écharpes de brume qui parcourent les versants, c'est comme si la montagne respirait.
C'est impossible de rendre cette incroyable atmosphère en photo. On oublierait presque d'en faire d'ailleurs...
Mais j'espère que ces quelques images parleront d'elles-mêmes, et vous transporteront un instant là-haut...









Ainsi s'achève notre histoire...

Ce matin là, j'imaginais ce que pouvait ressentir parfois un guide de haute montagne.

Quand on se dépasse pour atteindre un sommet, on a gagné cette vue incroyable du paysage qui nous entoure.
Et cette vue est belle. Bien plus belle que pour celui qui serait venu là, au même endroit, en téléphérique...

Mais elle est encore plus belle, car cette vue brille à travers le regard de celui qu'on a amené jusqu'ici.

Et vous savez quoi ?
Pour moi, c'est enfin le printemps !



Texte et photos : Guillaume Collombet

Séjour partagé avec Nathan Braconnier, dont je vous laisse découvrir le site internet !

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