Caché dans la forêt, deux oreilles écoutent les sons qui résonnent entre les arbres.
Un museau humide s'avance et vient renifler les pousses tendres;
et deux petits yeux apparaissent au dessus de la végétation, dévoilant la jolie tête rondelette du petit chevreuil né ce printemps.

Il est là, à quelques mètres.

Je ne bouge plus. Les battements de mon cœur s'accélèrent. Je retiens mon souffle, et je me risque à prendre une photo.
''Il ne part pas.
Ouf... Je ferais d'autres images que quand il tournera ses oreilles dans une autre direction.''
Ça va faire maintenant deux heures et demi que je l'observe, et je l'ai enfin ce moment tant attendu,
de la rencontre avec l'animal, dans son intimité.


Mais pour en arriver là, c'est une longue histoire.
Alors je vous emmène en voyage dans l'été montagnard...

1. Rencontres, quelque part dans le brouillard


Ce matin, la brume engloutie le paysage.
Dans la grande forêt, les arbres semblent pousser au fur et à mesure de mes pas.
Pourtant quand je me retourne, le chemin qui est derrière moi s'efface.
Je disparait dans le brouillard...


Les troncs se mélangent. Certains arbustes buissonnants créent des êtres imaginaires.
Je m'arrête fréquemment, toujours sur le qui-vive, car je sais qu'ici je ne suis pas seul.


Combien de paires d'yeux m'observent en silence dans le sous-bois ?
Ça, je ne sais pas...

Mais soudain, je crois discerner une silhouette.
Alors je m'arrête, et j'avance centimètres par centimètres.
La brume me dessine le contours d'une biche, puis de plus en plus de détails.


Un cri nous fait sursauter.
La biche et moi avons été surpris par un casse noix moucheté qui s'agite sur une branche.


En cassant des graines dans la forêt, il en a oublié quelques unes sur une souche.
Il n'en fallait pas plus pour qu'un arbre repousse.


C'est au casse-noix que l'on doit l'originalité de certains arbres. En poussant, les racines passent parfois au dessus de la souche. Ces racines s'épaississent ensuite. Et quand l'arbre grandit, la vieille souche pourrit, jusqu’à se décomposer. On découvre alors un arbre qui semble avoir pousser sur la pointe des pieds.

Mais la forêt est en ce moment le théâtre où se met en scène un discret animal qui cri parfois le soir, en plein milieu de l'été.


Le plus petit de nos cervidés se déplace dans cette atmosphère grisée.


Bondissant à travers la brume, il s'en va marquer son territoire, frottant de petits arbres avec ses bois et grattant le sol avec ses pattes pour y laisser son odeur.


Maître brocard disparait dans les profondeurs de la forêt.


Mais quand tout semblait calme, un autre chevreuil s'avance prudemment au pied des mélèzes. Il reste inquiet. Si le mâle dominant le voit sur son territoire, il le chassera nerveusement.


Qu'est-ce qui l'attire ici, au point qu'il prenne le risque de se faire chasser ? Je ne sais pas.
Il faudra que je revienne voir.


Pour l'instant, je continue mon ascension.
J'ai du dépasser la forêt, car les arbres n'apparaissent plus au milieu de la brume.
Il n'y a plus que des gentianes qui m'entourent.


L'humidité est là : sur la végétation, dans l'air, et dans mon esprit peut-être aussi... L'atmosphère devient oppressant. Le brouillard s'épaissit encore, et tous les repères disparaissent.


Dans ce monde de mystères,
les fleurs deviennent des oiseaux et les oiseaux des fleurs.
Je ne sais plus ce que je vois. J'essaye juste de ne pas perdre mon chemin car les ravins ne sont pas loin. J'entends l'eau qui s'écoule au fond d'eux, des centaines de mètres en contre-bas.


Mes yeux se plissent, ils cherchent le sentier dans les rochers.
Tiens, d'ailleurs ce n'est pas un rocher qu'il y a ici !


Un chamois remonte la pente. Il ne me voit pas. J'essaye de m'accroupir lentement pour casser ma silhouette humaine qui se détacherait dans la brume, et je tente de calmer ma respiration, essoufflée par l'altitude, pour être plus discret.


Il existe un monde là-haut qui dépasse parfois notre imaginaire.
Les couleurs n'existent plus. Seuls les formes et les sons nous donnent des repères.
Un bruissement d'ailes surgit.
L'aigle royal est de passage...


Mais lentement le brouillard finit par se dissiper.


En fait il est bel et bien toujours là, mais il reste sur un seul versant de la montagne.
Un courant d'air frais parcourt la crête.


Ici, les asters sont surprises par le givre.


Je profite du rayon de soleil qui apparait entre les nuages, avant de replonger dans les gentianes et le brouillard, en compagnie des traquets qui virevoltent le long de mon chemin.



Les jours passent, et les orages et le soleil se succèdent.


Il me tarde de retourner voir là-haut, dans la vielle forêt. Car la saison des amours bat son plein pour les chevreuils.
Je n'ai plus qu'une envie : repartir sur les sentiers de l'approche !


2. L'approche

L'approche est une façon très palpitante de faire de la photo animalière.
Mais attention, la règle d'or est de ne pas déranger !

Lors de mes précédentes excursions dans le brouillard, j'ai repéré un bon endroit où je pourrais peut-être voir des chevreuils. De mi-juillet à mi-août ils sont en pleine période de rut.
Alors je décide de partir, un peu avant la levée du jour...


Je m'enfonce dans le sous-bois, attentif au moindre mouvement et au moindre bruit.


Ici une mésange huppée se cache dans le lichen.
Je l'observe, et je ne fais aucuns gestes brusques.
Certains oiseaux ont des cris d'alarmes ou des chants différents s'ils sont inquiets, et les habitants de la forêt y sont très attentifs.


Parfois le bruit d'un ruisseau peu couvrir un peu le son de mes pas. Mais même dans ce cas là, je fais attention à chaque fois que je pose un pied sur le sol. Je me déplace très très lentement.
Inutile de marcher sur la pointe des pieds et perdre l'équilibre, il faut dérouler lentement la semelle de la chaussure du talon jusqu'aux orteils en épousant la forme du sol.
La concentration est extrême. Mes yeux cherchent à la fois la moindre branches qui ferait du bruit sur le sol et la moindre silhouette qui me surprendrait dans les fourrés alentours.

STOP ! J'ai cru entendre un bruit.


Ce n'est qu'un jeune merle à plastron qui fouillait dans les feuilles.

Je progresse tout doucement. Mes yeux cherchent partout et mes pieds tâtent les reliefs du sol.
J'essaye de contrôler ma respiration pour ne pas qu'elle soit trop forte, et je respire par le nez pour que les animaux ne sentent pas mon halène.
D'ailleurs j'avance toujours avec le vent de face pour que mon odeur ne me précède pas.
Je ne marche pas au milieu des sentiers, mais toujours sur les bords, car si je me fais surprendre par un animal, je serai déjà un peu caché si je ne peux plus bouger.
À la moindre chose suspecte je m'arrête, parfaitement immobile.


Je distingue un chamois qui descend dans la fraicheur de la forêt. Je ne peux approcher, sinon je serais trop à découvert. Alors je l'observe, et le laisse partir tranquillement.

Je me rapproche de l'endroit où j'avais vu les chevreuils. La tension monte.
Chaque souche d'arbre, chaque fourmilière qui dépasse de l'herbe attire mon attention, car il se peut bien que ce soit en fait le dos d'un chevreuil qui est en train de manger ici.

Tout à coup quelque chose arrive dans ma direction !
J'ai immédiatement levé mon appareil que j'ai autour du coup, pour qu'il soit prêt à l'emploi, et je ne bouge plus.
Mon cœur tape fort. J'essaye de ralentir mon souffle pour ne pas faire de bruit, et me stabiliser pour faire des photos.
Mes yeux se plissent et j'essaye de distinguer ce qui arrive, en gardant mon visage caché derrière le camouflage de mon appareil photo.

Maître chevreuil s'avance.


Un déclic et le brocard tourne la tête et les oreilles dans ma direction. Je ne peux risquer de faire une autre image, il est trop près. D'ailleurs je suis obligé de dézoomer pour qu'il rentre dans la photo !
La tension est toujours forte. Je ne peux pas faire le moindre geste, ni le moindre mouvement.
Il me regarde pendant plusieurs minutes.
Je dois tenir. Le poids de mon téléobjectif commence à me faire trembler légèrement. Je dois resté concentré.

Mais calmement, le chevreuil finit par continuer son chemin. Il s'arrête gratter le sol avec une de ses pattes avant, et frotte ses bois sur les branches basses d'un mélèze. Puis il disparait.
C'était magnifique.

Je peux enfin me relâcher, et je m’assois au milieu des Lis martagon pour me reposer.



Mais je met du temps à m'apercevoir que je ne suis pas seul !


Une chevrette est cachée ici. Elle reste couchée.
Toujours attentive, elle surveille les environs.
C'est sûrement elle qui a attirée les mâles.

Soudain, elle remarque quelque chose.


Et c'est là que je découvre que cette maman surveille du coin de l’œil ses deux petits faons qui se dissimulent non loin de là !



Avec sa petite tête qui se termine par un museau noir où se dessinent deux petites tâches blanches, le petit chevreuil a tout pour plaire.
De le voir s'amuser ici juste devant moi sans la moindre inquiétude est quelque chose de magique.

Maman se lève.


Et après un brin de toilette, elle part manger un peu plus loin.
Assis dans les hautes herbes, je ne vois plus les deux faons.
Mais le sourire aux lèvres, je reste rêveur de cette rencontre.

Soudain, quelque chose frotte l'écorce d'un mélèze. Est-ce le mâle qui est revenu ?


Non, c'est un écureuil qui vient ronger quelque chose.
Je reste sur le qui-vive. Je n'ai pas vu les faons suivre leur mère.
Ils ne doivent pas être loin, il ne faut pas que je me lève.
Et j'ai bien fait, car au bout d'une dizaine de minute, ils apparaissent.


Ils se couchent pendant une bonne demi-heure. Je les distingue parfois dans les hautes herbes, mais ils sont tellement bien caché que je me demande parfois s'ils ne sont pas partis.
Les minutes s'écoulent...

Mais l'attente finit par payer : ils montent à ma rencontre !



Après 2 h 30 à les regarder, ils disparaissent, quelques dizaines de mètres plus loin, dans le sous-bois.
À pas de velours je me retire.

Quelle moment incroyable.
Quand je finis une approche, la concentration est tellement forte que souvent je suis épuisé, alors que parfois je ne fais pas de grandes distances.

Mais quel bonheur, quand allongé dans l'herbe on peut croiser le regard des animaux et les voir évoluer dans leur milieu, sans se soucier de notre présence.

Il suffit d'ouvrir les yeux pour s'émerveiller.


Aller, pour les gourmands de photo, je vous laisse avec ce délice de fraise des bois,


Et qui sait, pendant que vous vous régalez, quelqu'un est peut-être en train de vous observer !



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